06 Mar « La fureur d’écrire », émission pour le 200ème anniversaire de Gustave Flaubert | 20.04.2021
Mardi 20 avril 2021, 13h25 | Télévision nationale
En l’honneur de la Journée internationale de la Francophonie, une émission pour le 200ème anniversaire de Gustave Flaubert, réalisée et animée par l’équipe du Figaro Hors-série
« La fureur d’écrire »
L’Institut français de Skopje en coopération avec la rédaction du Figaro Hors-série et l’appui de la chaîne TV 24 vous propose, en l’honneur de la Journée internationale de la Francophonie, une émission spéciale consacrée au 200ème anniversaire de l’auteur de « Madame Bovary ».
Au programme de l’émission : un reportage au musée Flaubert à Rouen (maison natale de Flaubert et musée de la médecine), un entretien filmé avec Yvan Leclerc, directeur du centre Flaubert, qui a enseigné pendant trente ans la littérature de Flaubert à l’université de Rouen et en est le meilleur spécialiste français, le portrait psychologique des héros de Flaubert, des lectures de textes de Flaubert par des comédiens qui organisent des spectacles littéraires au Lavoir Moderne parisien, des intermèdes musicaux avec un jeune pianiste et beaucoup d’autres surprises.
A découvrir !
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TEXTE D’EMMANUEL RIMBERT :
Mois de la Francophonie.
La Lettre de Gustave Flaubert qui nous est adressée.
Bien chères collègues et chers collègues, chers Maîtres,
Pourquoi ne commencerais-je pas ce courrier en vous adressant des vœux de bonne santé par ces temps de pandémie, à vous et aux vôtres. C’est rococo mais ça me plaît.
En ce mois de mars 2021, il fait encore un froid de chien à Croisset. Il pleut aussi. Me voilà revenu auprès de mon feu, et bûche moi-même mon « Bouvard et Pécuchet ». Avec ce couvre-feu à 19 heures, rien ne change pour moi. Je reste plongé dans l’écriture. Je pioche dans les mots et la phrase.
Moi qui ai été le premier confiné de France, reclus dans ma tanière à travailler violemment, loin des charogneries contemporaines, je ne supporte plus de voir tous ces Rouennais masqués. Le masque, triomphe de l’uniformisation, plaît au plus grand nombre. Ce règne de l’ordre sanitaire satisfait mon horloger. Après le paganisme, le christianisme, nous entrons dans le masquisme ! Quel monde ! Le plus triste, peut-être, c’est qu’on s’y habituera. Je n’aurai connu que des invasions : après celle des Prussiens, le virus chinois ! Ma pauvre boule!
On me dit que je suis célébré à Skopje pendant le mois de la Francophonie. Que tout a débuté avec un hors-série du Figaro, « Flaubert ou la fureur d’écrire » car je suis né en 1821, comme Baudelaire. Napoléon, lui, est mort cette même année.
A l’initiative de Skopje, capitale de Macédoine du Nord, un documentaire filmé a été réalisé. C’est le COCAC Rimbert et Isabelle Schmitz du Figaro qui sont à la manœuvre. N’ont-ils rien d’autre à faire ? On y parle beaucoup de Madame Bovary, des extraits sont lus par des acteurs sur une scène de théâtre. On se remet à gueuler mes textes, en les mettant à l’épreuve de l’oral pour vérifier la cohérence et la pureté de chaque proposition : les phrases mal écrites ne résistent pas à cette épreuve ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements du cœur ! Et le spécialiste rouennais Yvan Leclerc qui a consacré sa vie à mes écrits y est interviewé dans la maison de mes parents où j’ai vécu 25 ans. Nul doute qu’ils en feront un musée !
Voici quand même le lien que vous pouvez télécharger en passant par Google drive, c’est le plus simple :
https://drive.google.com/file/d/1h1S8MFDs5kinaGnjSUXwJCDq_pIGClZd/view?usp=sharing
On y expose mes vues esthétiques, mes conceptions politiques. Les vrais écrivains ne se grisent pas devant les célébrations. Mon pauvre père, lui, avait guéri bien des gens où d’autres avaient manqué. Moi qui ai été élevé dans les coulisses d’Esculape, j’ai vu à l’âge de 11 ans, en plein choléra, les gens mourir comme des mouches. Une simple cloison séparait notre salle à manger des malades.
Ces Rimbert et Schmitz ont même tout fait pour que cette émission d’une heure trente soit diffusée sur les chaines de télévision à Skopje bien sûr, à Tirana, Podgorica, Pristina, à Belfast, en Belgique, en Grande Bretagne, en Allemagne et en Espagne. Grand événement culturel ! Moi qui ai été trainé en 1857 devant le Tribunal Correctionnel de Paris pour l’un des plus curieux procès littéraires que la France ait connu. Le procès de Madame Bovary, mœurs de province. Le Second Empire était à l’apogée de son triomphe. Le réquisitoire de l’avocat impérial Pinard fut terrible « un monument de sottise et de mauvaise foi qui semblait né de la collaboration de Tartuffe et de Homais ». C’est ce même Pinard qui attaquera, en juillet 1857, « Les Fleurs du mal » de Charles Baudelaire. Je vous l’écris : imbuvable Pinard !
Qui écrira le grand roman du Covid? Quel écrivain atteindra l’art de notre vieux maître Michelet ? Aucune description de la peste ne m’avait causé un tel frisson. Non seulement on la voyait, mais on la sentait. Le problème avec ce foutu Covid c’est que nous ne sentons rien. Il ne pue pas atrocement ! Son invisibilité est sa signature. Nous avons plus peur du Covid que de la guerre. Notre monde est désormais encore plus stupide qu’au temps de la scrofule.
Le temps n’est pas doux. La vie au temps du Covid est intolérable. Ne faut-il pas l’escamoter ? Je vais l’écrire dans mon Dictionnaire des idées reçues : ne fréquenter que des gens vaccinés.
Je voudrais être muletier en Andalousie, aller à cheval sur une route blanche de poussière, me chauffer les couilles au soleil en fumant ma pipe. À mesure que l’on vieillit et que le foyer se dépeuple, on se reporte vers les jours anciens. Que de voyages, le nez au vent, entre palmiers et orangers, quand je me foutais une ventrée de couleurs en Égypte avec ce bon Maxime Du Camp. Le contact du monde auquel je me suis énormément frotté me fait de plus en plus rentrer dans ma coquille.
Savez-vous que depuis que l’on a décidé de me célébrer dans toutes ces capitales à l’occasion du mois la Francophonie, je reçois une correspondance abondante. Les lettres coulent comme des chaudes-pisses. Rimbert et Schmitz veulent maintenant organiser un banquet en mon honneur. Ils sont modernes. Moi, je suis un fossile. Moi, un rien me trouble et m’agite. Des comédiens liront des extraits de mon œuvre. Ils me disent songer à la dame Lemercier dont j’ai connu les parents puisqu’ils sont de Normandie, voisins de ma nièce Juliette, et aux sieurs Luchini et Fau qui sont de sacrés gaillards.
Me voyez-vous orner de ma présence un tel événement ? Au moins cela pourrait m’égayer dans la vie embêtante que je mène. J’espère que vous serez des nôtres pour soutenir votre vieux troubadour. Allons-y tous masqués !
Votre vieux.
Gustave Flaubert
D’après la Correspondance de Flaubert (Gallimard), une nouvelle d’Olivier Frébourg et son livre « Gustave et Gaston » (Mercure de France, 2011)